Un nouvel élan pour les caves coopératives


Longtemps méprisées par les amateurs de grands vins, les caves coopératives ont fait leur révolution culturelle.
Depuis dix ans, elles proposent des cuvées reconnues en France et dans le monde entier.

Sur la carte des vins du restaurant gastronomique La Bouitte (3 étoiles au guide Michelin), dans le village alpin de Saint-Martinde-Belleville, à quelques kilomètres de Courchevel, le champagne de la cave coopérative Devaux côtoie les bulles des grandes maisons. Au Hilton Hôtel de Singapour, les cuvées Marrenon, des quelque 1.200 vignerons regroupés entre le Luberon et le Ventoux, régalent les palais des clients asiatiques fortunés. Ces cas ne sont pas isolés. Le temps est loin désormais où les sommeliers des établissements les plus renommés snobaient ouvertement les vins des coopératives.

Un nouveau modèle

Il faut dire que le modèle des caves coopératives a évolué en un temps record. Avant le nouveau millénaire, la grande majorité de ces quelque 600 acteurs (à de rares exceptions près comme la Cave de Tain, La Chablisienne, Ortas ou la Cave de Ribeauvillé) misaient sur la quantité au détriment de la qualité.

Le secteur représente encore aujourd’hui la moitié de la production vinicole française (hors Charentes) et pèse un peu plus de 17.000 emplois pour 5,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Mais la montée en gamme est patente.

La donne a changé avec l’arrivée des vins du Nouveau Monde au début des années 2000 sur les marchés à l’export. Les vignobles français ont dû faire face à une concurrence féroce venant du Chili, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande… Ces pays pouvaient proposer des cuvées avec des volumes importants pour un meilleur rapport qualité-prix que la production hexagonale. Pour résister, les châteaux et domaines mais aussi et surtout les caves coopératives n’ont pas eu d’autre choix que d’investir sur la qualité. « En 2000, nous avons décidé d’effectuer un véritable travail qualitatif. Nous avons identifié, parmi nos vignerons, les vignes les plus à même de produire des grands vins, explique Jean-Louis Piton, président de Marrenon. Et dès 2005, nous avons été capables de créer des flacons haut de gamme sous l’ombrelle Marrenon afin de mieux valoriser nos produits. » Philosophie partagée par l’une des plus anciennes caves coopératives de France, la Cave de Ribeauvillé, en Alsace, créée en 1895 : « Nous privilégions la qualité car c’est le seul moyen de s’en sortir contre les gros metteurs en marché qui, eux, fonctionnent sur le volume, confie Yves Baldenweck, son président. Pour cela, nous effectuons beaucoup de vinification parcellaire. Nous avons au total 80 références avec de nombreux petits lots représentant 1.000 à 2.000 bouteilles. »

Parier sur le long terme

Tous ces efforts se trouvent aujourd’hui récompensés. A Londres, en juillet 2016, La Chablisienne, l’une des meilleures caves coopératives hexagonales, installée comme son nom l’indique à Chablis dans l’Yonne en Bourgogne, s’est vu décerner le prix du meilleur vinificateur de vins blancs au concours International Wine Challenge. Une reconnaissance internationale méritée pour cette marque née en 1923 et qui a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 55 millions d’euros, contre 37 millions en 2010.

Parier sur le long terme et sur une réelle montée en gamme est une stratégie rendue possible par le fait que, dans les caves coopératives, le pouvoir appartient aux vignerons. « Nous sommes une entreprise classique avec un modèle original », résume Laurent Gillet, président de Champagne Devaux. Si la cave coopérative a des objectifs commerciaux et financiers comme n’importe quel autre producteur de vins, elle doit d’abord rendre des comptes à ses adhérents, associés coopérateurs. Car « une cave coopérative est d’abord un projet humain. Nous avons 250 associés coopérateurs. Nous n’avons pas de financiers extérieurs qui demandent un retour sur investissement rapide », insiste Damien Leclerc, directeur général de La Chablisienne.

« L’investissement de court terme n’est pas privilégié puisqu’on ne vient pas chez nous pour faire du bénéfice mais pour faire du vin », confirme Laurent Gillet chez Devaux. Du coup, le modèle crée de la stabilité humaine dans le territoire. Les hommes et les femmes qui travaillent dans les caves coopératives et les producteurs adhérents savent qu’ils peuvent bâtir un projet professionnel et personnel. « Le mouvement coopératif est un peu l’antidélocalisation », conclut Jean-Louis Piton, chez Marrenon. Une profession de foi qui sonne comme un slogan !

Lesechos.fr –